Et grogne la gallera ! Combats de coq : un « sport » dominicain

Comme dans toutes les Caraïbes, les combats de coqs sont une véritable institution en République Dominicaine. Une tradition populaire doublée d’un business lucratif donnant lieu à d’importants paris dans les galleras. À Saint-Domingue, la passion pour ce sport dépasse tout. Reportage.

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Moderne, bien équipée, cette gallera porte le nom plus ronflant de « clube gallistico ». ©Dominique de La Tour – Pentadom

D’octobre à juin, chaque dimanche trahit son usage… Cette construction circulaire est déserte en semaine. Faite de ciment ou de bois, elle se réplique dans toutes les bourgades de Saint-Domingue. C’est la gallera. En bon français, ça ne se traduit pas par « galère », mais par pitt. Gallodrome dit-on quelquefois, de manière  aussi pédante que barbare. Bref : c’est une arène pour coqs de combat. Les familiers de la Guadeloupe ou de la Martinique en ont sans doute entendu parler, mais à Saint-Domingue, la passion pour ce sport dépasse tout. Un sport ? En France, nous avons bien notre Coq Sportif, mais en cette époque où l’anti-spécisme gagne du terrain, pourquoi la compète ne s’ouvrirait-elle pas à ces volatiles ? Sauf que ce n’est pas notre volatile qui porte le titre de deportista gallero (« sportif coquier »), mais bien son maître ; et les journalistes dominicains qui « couvrent » ces luttes à mort sont admis au même cénacle que les commentateurs du sport dominicain por excellencia – le béisbol (base ball).  

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Plus modeste, la gallera classique en bois peint et tôle ondulée. ©Dominique de La Tour – Pentadom

Quoi qu’il en soit, c’est quand même le coq qu’on entraîne : un mannequin peint aux traits de l’ennemi tient lieu de punching ball, tiré par une ficelle, on lui apprend le sprint, le faisant sauter en arrière on lui muscle ses ailes atrophiés… Et le régime-champion : maïs, avoine, soja, lait, blanc d’œuf, larves, viande, sardines, de la bière Presidente, et un peu de magie comme le nourrir d’un cœur de taureau, ou de potions fourguées par quelque vaudouisant haïtien. La gallistique connaît aussi ses dopages : testostérone, caféine, strychnine, et ses antidopage – mais nous glisserons sur cet aspect.

T-shirt et chacabana

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Dans les petites galleras, le propriétaire ne délaisse son coq qu’au dernier moment. ©Dominique de La Tour – Pentadom

Nous aurions pu taire cette activité. L’heure est plutôt à réclamer par change.org son interdiction ou à riposter en vociférant pour le boycott des all inclusive de Punta Cana. Nous voulons simplement aborder d’un œil neutre une activité si présente, que son interdiction pendant le Covid l’a juste fait rentrer en clandestinité – tandis que des députés exigeaient des peleas de gallos virtuales grâce à Zoom et autre Team.

Qui de la poule ou de l’œuf a créé les combats de coqs ? Ils existent à l’état de nature, mais leur organisation a commencé il y a 6 000 ans, à Sumer, en vue de lire l’avenir. Après Thémistocle et Henry VIII, cette aficion a contaminé l’Amérique avec les conquistadors. George Washington y était accro, et Lincoln aimait à arbitrer lui-même cockfights et rooster fighting.

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Avant le combat, on vérifie qu’il n’y a pas entente entre les deux adversaires. ©Dominique de La Tour – Pentadom

J’ai visité beaucoup de galleras : arènes de tôle et de planches aux chaises de plastique, « clubes gallisticos » avec strapontins, buvette, infirmerie et gestion par ordi… Clinquants ou miteux, il y règne cette même allégresse populaire et fiévreuse, où s’ignorent le propriétaire en chacabana (la chemise brodée dominicaine) immaculée, Ray Ban et panama, et le paysan en jeans et T-shirt douteux. L’un d’eux me présente son héros : contrairement aux éleveurs dont les enclos, cages et chambres pour amours génétiquement contrôlées occupent des hectares, lui a mis toute ses économies et ses rêves dans un unique coq. Il espère bien devenir riche.

Le piège de l’élevage, c’est de croire qu’un bon combattant aura forcément des descendants exceptionnels. Les éleveurs aguerris distinguent lutteurs et reproducteurs – qu’on se garderait bien d’exposer aux risques de l’arène. Les croisements se font en diversifiant les souches : tirer un maximum de deux couples parfaits, ne dure qu’un temps : cinq générations, et les tares rejaillissent ! L’élevage ne vaut plus qu’un clou, celui du mont-de-piété !

Cet homme enregistre les animaux, et les place dans des casiers numérotés. Un grillage et un huissier met l’endroit à l’abri de truqueurs et tricheurs. À côté, deux hommes collent à leur champion des ergots artificiels. Parfois de métal, plus souvent pointes de plastique qu’on fixe à l’aide de cire et de bandes adhésives. Dans la petite gallera vue hier, le coq est cajolé jusqu’à l’ultime minute par son souteneur. Dans les grandes, où tout se fait à la lueur « moderne » des néons, il est alpagué par des aides en blouse blanche, et on ne le revoit plus que dans ce petit téléférique à cages-aquarium qui le dépose sur l’arène.

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Devant les cages, les aficionados échangent leurs intuitions – et leurs tuyaux, souvent percés ! ©Dominique de La Tour – Pentadom

L’art d’être coq

Comme pour des boxeurs, les paires sont formées à égalité de poids (2,5 à 4 kg), en tenant compte de l’âge, du rodage et de l’aptitude à gonfler les paris. Car ce que je remarque autour de moi, ce sont les liasses de pesos que chacun tient serré dans son poing.

Avec une pendule digne d’Alice aux Pays des Merveilles, un arbitre contrôle la durée de ce round unique. 15 minutes. Les coqs sont frottés l’un à l’autre. À la nouvelle lune, les coqs ont été amputés de leurs crêtes et barbes, sources de saignements inutiles. Puis ils sont lâchés l’un contre l’autre sur la moquette verte de l’arène ronde. Le combat commence : « Frrp ! » de crécelle des ailes, caquets, vociférations des spectateurs. En face, un parieur injurie en cognant le rebord de la piste. Chiffonnés par les mains nerveuses, les paris de dernière minute circulent.

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La pose des ergots, en plastique, en métal ou pris sur un coq mort et bien monté. ©Dominique de La Tour – Pentadom

Comme un toro, un gallo doit être bravo (« hardi », « sauvage »). Cela ne veut pas dire dangereux, mais ayant le goût du combat, ne se résignant même pas quand la mort est là. Alto (haut), il se hausse pour porter loin ses coups et faire croire qu’il a une taille qui accroîtrait la surface exposée. Picador (« piqueur »), il maintient à distance avec bec et pattes, donnant les coups en gardant la cadence. Cortador (« coupant »), il porte des coups précis, qui font les blessures « nobles » (entendez mortelles !), au lieu d’abîmer l’adversaire en égratignures. S’il a du recorso (« de la ressource ») il s’adapte au rival, se tirant toujours d’une situation critique. Insensible à la douleur, il doit cependant vite cicatriser ses plaies pour combattre au plus vite.

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Les coqs aux prises : « piquer » par en haut est gage de suprématie, mais gare aux surprises ! ©Dominique de La Tour – Pentadom

Dès l’arrivée, tout est un indice : le coq se rue-t-il sur l’adversaire ou le guette-t-il de pied ferme ? S’élève-t-il plus haut que lui pour frapper la nuque ? Pique-t-il dans le vide ? Chaque golpe (coup) a un nom précis : de canillera (« de jambière », porté à la patte) ; de tijera (« de ciseaux », aux ailes) ; de candado (« de cadenas » qui immobilise le bec) ; de baston (« de bâton », qui laisse l’animal tête pendante) ; de sangre (« de sang », qui frappe le poumon) avant de tumbar (« s’allonger »).

Chez le véto…

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Du vétérinaire, on exige potion miracle ou bombe d’éther, pour désinfecter et calmer les blessures. ©Dominique de La Tour – Pentadom

Comment finissent-ils, ces corps pantelants qu’on escamote coulisse ? Je suis allé voir. Profitant du désarroi du propriétaire, inconsolable ou rancunier, ils seront au menu de quelque dîner de pauvre. Mais dans cette pièce blanche comme un hôpital de campagne, ce véto sauve une bonne partie des coqs : « Certains reprennent des forces et deviendront des champions ». D’ailleurs, être un rescapé est un atout pour ne pas refaire d’erreurs, et un ingrédient… pour de juteuses surprises, côté paris.

Par Dominique de La Tour

Journaliste

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