Room service à 8 848 mètres
Caviar, tente chauffée et Wi-Fi à 6 500 mètres : bienvenue sur l’Everest 3.0, où l’aventure s’achète désormais en formule “VVIP”.
Pour 300 000 dollars, démontre une enquête vidéo de L’Équipe, des clients fortunés ne paient plus une ascension, mais la suppression de l’effort. Quatre sherpas par personne, un cuisinier, un médecin, un manager : l’alpinisme s’efface derrière le service cinq étoiles. L’exploit devient expérience de luxe, avec promesse d’un taux de réussite “garanti à 100 %”.
Il fut un temps où gravir l’Everest relevait d’une quête. Aujourd’hui, on s’y fait déposer par hélicoptère entre deux campements, avant de poster sa photo “au sommet du monde” sur Instagram. La montagne, jadis sanctuaire du dépassement, se mue en décor d’un safari pour milliardaires. Et sous les crampons dorés, les déchets s’accumulent : bouteilles plastiques, tentes abandonnées, fragments de bouteilles d’oxygène. Le toit du monde s’asphyxie à force d’être possédé.
Ce tourisme du privilège, qui génère certes une manne vitale pour le Népal, interroge sur la valeur même du voyage. Que reste-t-il du sens, lorsque l’on franchit 8 848 mètres sans jamais avoir affronté le froid, la peur ou le doute ? L’Everest n’est plus une frontière, c’est un forfait. Et dans le souffle rare des hauteurs, c’est peut-être l’esprit d’aventure lui-même qui manque d’air.
Une indécence d’autant plus criante que la montagne reste meurtrière : mardi 4 novembre, une avalanche a fait neuf morts au Népal, parmi lesquels des Italiens et un Français. On pourra toujours débattre du besoin de se dépasser au péril de sa vie ; mais au moins, ces aventuriers-là n’attendaient pas qu’on leur livre une boîte de caviar une fois arrivés au sommet.
