Le trail face à ses contradictions, on en parle

Longtemps symbole d’un retour à la nature, le trail est aujourd’hui rattrapé par ses propres excès. Devenu un sport de masse, parfois mondialisé, il suscite le débat. Peut-on encore parler de pratique « éco-responsable » quand des milliers de coureurs prennent l’avion pour participer à des courses aux quatre coins du monde ?

Le trail face à ses contradictions, on en parle 1
Le népalais Dawa Sherpa, figure emblématique du trail, incarne depuis toujours l’esprit originel de la discipline : courir au plus près de la nature, dans la simplicité et le respect des montagnes. ©Môle et Brasse Tourisme

Au-delà du constat, une autre question s’impose, comment faire évoluer le trail sans le dénaturer ?

Inflation des courses et explosion du nombre de pratiquants

Dopé par les réseaux sociaux et l’attrait du dépassement de soi, le trail attire désormais plus d’1,4 million de pratiquants en France, selon la Fédération française d’athlétisme. Une popularité qui s’accompagne de dérives pointées par Reporterre, « média de l’écologie », dans un article récemment publié sur son site Internet. Inflation des courses (+11% entre 2023 et 2025), multiplication des voyages « all inclusive » aux quatre coins du globe, communication spectaculaire autour de la performance, le titre relève une transformation profonde de la discipline. Bref, l’esprit pionnier et minimaliste du trail, courir au contact de la nature, semble parfois s’effacer derrière une logique d’image et de consommation. Comme le fait si bien la franchise UTMB.

Le trail, porte d’entrée vers le bien-être

Mais faut-il pour autant jeter la pierre à toute une communauté ? À Sport et Tourisme, nous pensons qu’il ne faut pas perdre de vue l’essentiel : le plaisir de bouger, de respirer, de se dépasser dans la nature. Laissez les gens se dépenser en plein air ! Car avant d’être un marché, le trail reste une estimable porte d’entrée vers la santé, le bien-être et le lien à l’environnement.

La sédentarité, elle, fait bien plus de dégâts. Plutôt que d’être un business, le trail doit rester une invitation au mouvement, à la découverte et au respect de la nature. C’est aussi cela, le tourisme sportif. Une manière vivante et responsable d’habiter nos territoires.

Stop aux injonctions

La publication de l’article de Reporterre n’a pas manqué de faire réagir. À commencer par Jean Pinard, ex directeur du Comité régional Occitanie et désormais consultant en progrès touristiques, qui a publié sur LinkedIn un post très partagé. Il y dénonce « les injonctions moralisatrices » et appelle à davantage de nuance. « À force de tout critiquer sans aucune nuance, on va finir par considérer que le mieux pour l’environnement, c’est de rester chez soi, de s’isoler, de s’enfermer », écrit-il.

Pour lui, le problème n’est pas le trail en soi, mais certains comportements ou dérives de marché. Il rappelle que l’immense majorité des pratiquants courent près de chez eux, souvent au sein de clubs engagés localement. Et de citer l’exemple de la Fédération Française de Canoë-Kayak, où plus de 90% des clubs organisent des journées de nettoyage de rivières. « On protège ce qu’on aime bien », souligne-t-il, rappelant la responsabilité positive des acteurs de terrain.

Dans le même esprit, d’autres observateurs invitent à élargir la réflexion. Romain Pommier, journaliste pour le site BtoB Tourmag, ajoute un autre angle. Selon lui, le problème ne tient pas tant à la pratique qu’à l’injonction sociale qui l’entoure. « Les zones naturelles envahies par des centaines, voire des milliers de participants… C’est un peu comme la course à pied devenue une sorte d’injonction sociale. Aujourd’hui, si tu cours tous les matins à 5h00, tu as « réussi ta vie » et tu fais partie de la caste des winners. Le problème, comme souvent avec les activités humaines, c’est l’excès », avance-t-il.

Ne pas opposer pratique sportive et écologie

Pas grand monde pour nier que le trail est devenu un business, avec des dossards de plus en plus chers et des compétiteurs qui enchaînent les courses à l’autre bout du monde. Cela dessert la discipline. D’un sport nature sain, il devient un sport qui pollue, à l’antipode de l’image qu’il véhicule au départ. Mais il serait injuste de stigmatiser l’ensemble des traileurs. La grande majorité reste sobre, respectueuse et attachée à ses territoires.

Reste que le débat dépasse aujourd’hui les cercles d’initiés. Sur les réseaux, il s’est élargi. Faut-il blâmer le sport ou ses excès ? Pour certains, comme Karine Lassus, consultante spécialisée sur les stratégies cyclables et les activités outdoor, il est contre-productif d’opposer pratique sportive et écologie. « C’est quand même mieux d’inciter quelqu’un à découvrir un territoire en pratiquant une activité sportive qu’en prenant sa voiture ». Et de dire que « comme pour n’importe quelle activité, c’est une question de civisme ».

À l’inverse, d’autres observateurs jugent légitime de pointer la « marketisation » du sport nature. Le scénariste et écrivain Eric Ollivier rappelle que le problème n’est pas le coureur du dimanche, mais le système qui transforme le trail en produit d’appel touristique ou en défi instagrammable. Des voyages de plusieurs milliers de kilomètres pour quelques heures de course, au nom d’une « reconnexion » à la nature.

Des solutions pour un trail durable

Entre passion sportive, économie locale et impératif écologique, ce débat met en lumière une tension bien française. Pour beaucoup d’acteurs du terrain, la voie à suivre passe par la relocalisation et la pédagogie. Ils encouragent ainsi les événements accessibles en train, mutualisent le matériel, favorisent la sobriété dans l’organisation et soutiennent les territoires de proximité. Autant d’actions déjà à l’œuvre dans plusieurs régions. Certaines stations de trail – dans les Alpes, en Normandie, en Bretagne ou le long de la Loire – misent sur l’accessibilité ferroviaire et sur des formats plus conviviaux.

Dans l’article de Reporterre, il est aussi écrit qu’à Villeneuve-d’Ascq, le club Métropole Trail Nature défend depuis plusieurs années une approche locale et responsable : recyclage de matériel, partenariats avec des artisans, actions de sensibilisation. L’objectif est clair : « éveiller les consciences, mobiliser et fédérer » autour d’un sport plus durable et solidaire.

Car la sobriété ne signifie pas la fin du plaisir de courir, mais le retour à l’essentiel : la découverte, le partage, l’effort juste. Comme le résume Jean Pinard, ce qui compte, c’est de « hiérarchiser, de contextualiser, et d’éviter les jugements à l’emporte-pièce ».
En somme, le trail n’est peut-être ni « écolo » ni « pollueur ». Il est un miroir de nos contradictions, mais aussi un formidable levier pour repenser la manière dont nous habitons, explorons et aimons nos territoires.

Courir pour soi et la nature

À Sport et Tourisme, nous ne serons jamais des talibans quant à la pratique de la course à pied comme du trail. Celles et ceux qui se contrefichent de leur bilan carbone sont en réalité très peu nombreux au regard du nombre total de pratiquants. Alors oui, vive le trail !

L’enjeu n’est donc pas d’interdire, mais d’accompagner. De retrouver le sens du geste simple. En résumé, courir pour soi, pour la nature, pour le plaisir de bouger et d’être en bonne santé. Un sport libre, ancré dans les territoires, conscient de son impact sans être paralysé par la culpabilité. Voilà sans doute le visage d’un trail à la fois vivant et durable.

David Savary

Rédacteur en chef
Contact: david.savary@sport-et-tourisme.fr

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