Montagnes sur catalogue
Personne ne contestera sérieusement aux pays du Golfe le droit d’accueillir de grands événements sportifs internationaux. Le Qatar a organisé une Coupe du monde de football, l’Arabie saoudite investit massivement dans le sport, les Émirats arabes unis sont devenus une place forte du cyclisme mondial. Le mouvement est lancé, irréversible. Mais le coût social et écologique est souvent bien lourd.
Ainsi, l’idée de construire de toutes pièces des montagnes artificielles pour les Championnats du monde de cyclisme 2028 à Abou Dhabi marque un tournant troublant. Non plus adapter un événement à un territoire, mais façonner le territoire pour qu’il corresponde aux codes du spectacle sportif. Pentes à 10 %, rampes à 13 %, reliefs surgis du désert : le décor devient un produit, calibré pour la performance, la mise en scène, les images spectaculaires.
Le cyclisme, sport profondément lié à la géographie, s’est toujours nourri des routes, des cols, des paysages, des aspérités naturelles. On gagne un championnat du monde en domptant un terrain existant, pas en gravissant un relief sorti d’un chantier. À ce jeu-là, la frontière devient mince entre compétition et parc d’attractions.
Sur le plan touristique, la question n’est pas neutre non plus. Ces événements sont des leviers puissants d’attractivité, de notoriété, de flux internationaux. Mais quelle image veut-on renvoyer ? Celle d’un territoire qui s’invente en permanence, au mépris des équilibres naturels, ou celle d’une destination qui s’assume telle qu’elle est ?
Le précédent saoudien des Jeux asiatiques d’hiver 2029, attribués au site futuriste de Trojena, dans le désert de Neom, résonne forcément en écho. Là aussi, neige artificielle, stations recréées ex nihilo, paysages fabriqués pour répondre aux codes d’un imaginaire sportif importé. Quand même l’hiver devient un produit d’ingénierie, c’est bien le rapport du sport au réel qui vacille.
