Ultra-cyclistes : l’illusion de l’immunité
À 18 ans, Lennart Monterlos n’a pas choisi un séjour balnéaire, un circuit touristique ou des vacances organisées. Il a emprunté le chemin inverse : celui des grands espaces, des routes oubliées, du guidon comme boussole. Parti d’Europe pour rallier le Japon, il a traversé des pays aux noms imprégnés d’histoire. Mais depuis le 16 juin, son itinéraire est suspendu : il est détenu en Iran, sans motif clair dévoilé aux siens. Pour les autorités, il n’est plus ce jeune cycliste en quête de découverte, mais un étranger dont la nationalité suffit à éveiller la méfiance et à nourrir les rapports de force diplomatiques.
Sur un autre front, en Russie, c’est Sofiane Sehili, 44 ans, français comme Lennart, qui découvre à son tour la limite tragique de l’aventure. Début septembre, alors qu’il tentait de battre le record de traversée eurasienne à vélo — de Lisbonne à Vladivostok — il a été arrêté pour « franchissement illégal de frontière » dans l’Extrême-Orient russe. Sa détention provisoire, prolongée jusqu’au 3 novembre, illustre la dure réalité : un vélo ne suffit pas à franchir les barrières du monde.
Ces deux affaires tracent un même sillon douloureux : l’ultra-cycliste, dans son mythe de liberté, peu se croire hors-champ, mais reste sujet aux lois qu’il traverse. Le voyage, même le plus sincère, n’efface jamais le passeport.
Ne nous méprenons pas : il ne s’agit pas de condamner ces hommes. Ils incarnent une audace, une curiosité, une forme de foi dans le monde. Mais leur sort — chacun à son échelle — rappelle une vérité implacable : l’effort, la passion, la beauté du paysage ne confèrent aucune immunité. Et tant qu’il y aura des frontières, des États aux zones grises, des pouvoirs qui manipulent le symbole de l’étranger, le cycliste, aussi libre soit-il, peut devenir une cible.
