Comment les lieux de compétition se métamorphosent et deviennent des pôles touristiques et culturels à part entière ?
Alors que nous sommes à J-100 de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques, la mise en tourisme du patrimoine sportif bâti apparait comme une préoccupation essentielle aux yeux de nombreux décideurs. Soucieux de trouver un équilibre entre la préservation de l’héritage sportif et la création d’espaces dynamiques prêts à recevoir de nouveaux publics, ils réfléchissent en permanence sur la manière d’articuler un lieu d’évènementiel sportif dans un objectif de patrimonialisation.
Un phénomène aussi riche que complexe. La mise en tourisme du patrimoine sportif bâti n’est pas chose aisée. D’autant moins qu’elle doit s’adapter aux enjeux spécifiques de chaque site. Une analyse en profondeur est nécessaire afin de comprendre les multiples facettes de ce processus qui vise à redéfinir l’expérience culturelle tout en promouvant l’héritage sportif en plein essor.
La patrimonialisation du bâti sportif, un enjeu politique
Qu’il s’agisse de stades emblématiques (Stade de France, Parc des Princes, Geoffroy Guichard, Roland-Garros…), de vélodromes (Roubaix…), de musées (Musée des Verts…), d’œuvres d’arts…, le patrimoine lié au sport témoigne de son importance et son évolution. De plus en plus d’équipements sportifs ouvrent leurs portes au public, abritent des musées et deviennent des pôles d’animation.
Certains bâtiments sont patrimonialisés parce qu’ils ont été le théâtre d’importantes manifestations sportives comme la piscine Olympique de Montréal. C’est le cas également de sites naturels tels que l’Alpe d’Huez, ou le Mont Ventoux, qui font désormais partie de l’histoire du Tour de France.
Le tourisme de mémoire, « une connotation traumatique »
On parle parfois de tourisme sportif de mémoire. On ne le retient pas ici car selon Marc Langenbach, maître de conférences à l’Université Grenoble Alpes, il porte une « connotation traumatique ». Le terme s’applique en effet à des événements graves. On pense par exemple à la catastrophe de Furiani en 1992, où 19 personnes ont trouvé la mort et plus de 2 000 autres ont été blessées suite à l’effondrement d’une tribune lors de la demi-finale de la Coupe de France de football. Le mont Ventoux, évoqué plus haut, sied aux deux catégories : régulièrement lieu de passage du Tour de France, mais aussi le lieu de la mort du cycliste Tom Simpson, le 13 juillet 1967.
L’organisation de compétitions sportives riment souvent avec fierté nationale. Elles marquent la grandeur de la ville, du territoire et même du pays. Toutefois, ce n’est plus aussi vrai qu’avant. Les méga événements se déroulent dans les mêmes pays. Il n’y a pas de montée en puissance puisque le pays est déjà considéré comme puissant. Et surtout visible.
Mettre en avant sa puissance
Marc Langenbach et son confrère Pascal Mao, également maître de conférences à l’Université Grenoble Alpes, évoquent à l’inverse des manifestations qui ont été pour le pays d’accueil l’opportunité de mettre en avant sa puissance, et où le bâti a eu de l’importance. C’est par exemple le cas de Sotchi pour les JO d’hiver en 2014, où s’est opérée une importante transformation avant-après. Autre exemple plus récent, celui du Qatar avec la Coupe du Monde de football de 2022. Citons encore l’Arabie Saoudite qui accueillera les Jeux asiatiques d’hiver de 2029. Dans ce sens, la patrimonialisation va s’effectuer après par les populations.
Ne pas oublier la dimension médiatique
Du tourisme sportif on glisse vers le tourisme culturel. Mais la mise en tourisme du bâti est avant tout une affaire politique. Cela permet d’ancrer une destination sur la carte du monde via un événement que l’on pourra revivre par la suite grâce à la visite des bâtiments l’ayant abrité. La dimension médiatique ne doit pas être oubliée car comme l’explique Bruno Lapeyronie, enseignant chercheur et consultant en Nouvelle Aquitaine, « en communiquant, la collectivité ou le pays organisateur implique et fait adhérer la population en mettant en avant les retombées économiques générées ».
Nous le voyons, la patrimonialisation s’apparente à un processus permettant la mise en avant d’un site naturel ou construit. Son importance se reflète dans l’imaginaire auquel il renvoie. Ses objectifs sont souvent plus politiques et médiatiques que sportifs. Comme nous l’évoquons ci-après, le tourisme du bâti sportif est rarement le seul motivateur d’un voyage.
Des lieux chargés d’histoire qui ont su se réinventer
En France
Le circuit des 24h00 du Mans
Le circuit des 24h00 du Mans n’est pas simplement un circuit. Il intègre aussi un musée qui a accueilli 200 000 visiteurs en 2023. Ouvert en 1961, ce musée permet une véritable immersion dans l’histoire riche et iconique de cette course. Il comprend pas moins de 120 voitures de course, des trophées emblématiques, des combinaisons de pilotes, des photographies et divers souvenirs liés à la célèbre course.
Le circuit des 24 Heures du Mans donne lieu également à des journées de roulage sur le circuit, des conférences animées par d’anciens pilotes, des expositions temporaires… La mise en tourisme du circuit des 24 Heures du Mans offre bien plus qu’une simple visite, elle propose une plongée immersive dans l’histoire et la passion de cette course mythique.
La piscine Molitor
Cette piscine a été inaugurée en 1929. Avant d’être laissée à l’abandon fin des années 80. Victime de tags, elle est aussi utilisée de façon illégale comme lieu de fête. En 2014, le lieu rouvre ses portes, métamorphosé en un hôtel somptueux.
L’une des caractéristiques les plus marquantes de cette transformation réside dans la préservation de son histoire et sa parfaite intégration dans un nouveau bâtiment.
L’art s’est intégré à l’âme du Molitor. Des graffitis ornent le lobby de l’hôtel, les cabines bleues du bassin intérieur. Une collection de lithographies numérotées d’artistes renommés habille également les chambres de l’hôtel et certains espaces communs, créant ainsi une immersion artistique pour les visiteurs.
Les cabines du bassin intérieur, témoins d’une histoire picturale riche, subiront une transformation artistique l’été prochain. De nouveaux artistes viendront y laisser leur empreinte, perpétuant ainsi la tradition de créativité qui caractérise ce lieu unique voué à l’origine au sport.
À l’étranger
Le Parc Olympique de Montréal : la continuité de l’héritage sportif
Les Jeux Olympiques de 1976 à Montréal ont laissé un héritage dynamique, transformant le Parc Olympique en un lieu polyvalent mêlant sport, culture et divertissement. Cette métamorphose illustre l’importance de conserver les infrastructures olympiques pour en faire des espaces vivants qui évoluent au fil du temps. L’ajout d’installations sportives contemporaines a été une étape clé dans la valorisation du Parc Olympique.
Un skatepark se muant en snowpark l’hiver et une zone d’escalade de bloc ont été intégrés autour du stade, offrant ainsi aux amateurs de sports extrêmes un terrain de jeu adapté.
La transformation des infrastructures olympiques témoigne également d’une vision novatrice de la conservation du patrimoine sportif. Le Vélodrome utilisé lors des Jeux de 1976 a été reconvertit en tant que Biodôme de Montréal, un musée « vivant » unique en son genre. Par ailleurs, une tour avec un funiculaire a été ajoutée au stade olympique, créant un point d’observation permettant aux visiteurs de contempler la ville sous un nouvel angle.
Le Parc Olympique de Montréal ne se contente pas d’être un lieu sportif, il s’est également imposé comme un centre culturel animé. L’esplanade entourant le stade est le théâtre de nombreux festivals tout au long de l’année.
Héritage olympique, les exemples à suivre
Barcelone en 1992
L’Anneau Olympique de Montjuic (ensemble monumental constitué par le stade olympique Lluís Companys, lePalau Sant Jordi et l’esplanade de l’anneau) est au cœur de cet héritage. Une alchimie parfaite entre passé et présent, et qui offre aux visiteurs un plongeon inédit dans l’histoire du sport. C’est une escale incontournable pour celles et ceux qui sont désireux de (re)vivre ces Jeux par procuration.
Le Musée olympique et sportif Joan Antoni Samaranch offre une expérience éducative authentique en dehors des Jeux. Les expositions interactives de ce lieu emblématique transportent les visiteurs dans les coulisses captivantes des Olympiades. Au-delà de sa fonction de gardien des trophées olympiques, le musée encourage les curieux et les passionnés de sport à plonger dans l’héritage des Jeux.
Autre exemple, Open Camp, premier parc thématique consacré au sport, qui valorise le patrimoine sportif de Barcelone. En combinant subtilement l’héritage sportif avec des attractions interactives modernes, ce parc offre aux visiteurs une plongée captivante et immersive dans l’univers du sport.
Londres en 2012
La capitale britannique a su conjuguer l’après-Jeux avec une intégration exemplaire des sites olympiques. Leur réutilisation a joué un rôle clé dans la transformation urbaine durable.
Ces Jeux, en plus d’être un événement sportif, ont contribué à redonner vie à des zones urbaines qui avaient été négligées et à des quartiers en déclin en transformant des zones industrielles en espaces verts dynamiques, tels que le Queen Elizabeth Olympic Park. Ce parc représente désormais une preuve tangible de la revitalisation de la ville grâce à l’événement sportif.
Londres a ainsi fourni une vision élargie des Jeux, démontrant qu’ils peuvent être un formidable levier pour façonner un héritage durable, à la fois dans l’histoire du sport et dans l’évolution des villes hôtes.
Le contre-exemple, Rio en 2016
La réussite de la réutilisation des bâtiments construits pour les JO n’est jamais garantie. Après les Jeux de Rio, le Village des athlètes devait servir la population. De même les parcs et stades construits étaient promis aux clubs sportifs nationaux.
Ce Village des athlètes a été installé en périphérie de la capitale, à Barra de Tijuca, avec comme souhait de dynamiser cette banlieue et de la rendre attractive. Le défi est relevé, les travaux se terminent et l’engouement est là. Cependant, la crise de 2015 qui frappe le pays, réduit très nettement le pouvoir d’achat de la population. Résultat, aujourd’hui, de nombreux appartements sont inhabités. Le quartier, autrefois promis comme luxueux et dynamique, s’est transformé en une ville fantôme.
Le dessein de Paris 2024
Le Village des athlètes
Les JO de Paris 2024 représentent une grande opportunité de faire briller le savoir-faire français, en termes d’accueil et d’organisation. Montrer au monde que notre pays est doté d’une force qui permet de réaliser des Jeux Olympiques qui resteront gravés dans les mémoires. Tant par les lieux de déroulement des compétitions, que par la durabilité des infrastructures construites pour l’occasion.
Découvrir les coulisses du Village
L’Office de Tourisme de la ville de Saint-Denis (Seine Saint-Denis) propose depuis 2021 une mise en tourisme pré-Jeux Olympiques afin de découvrir “les coulisses” de la construction du Village des athlètes. Dominique Gandolfi, chargée de promotion à l’Office de Tourisme de la ville, affirme qu’une mise en tourisme post-JO est prévue. « Il y aura la phase de réversibilité de l’héritage en 2025. On pense qu’on pourra de nouveau proposer des visites dans l’espace public » explique-t-elle.
Au service de la population locale
Après qu’il aura accueilli près de 6 000 athlètes l’été prochain, le Village de 52 hectares sera à disposition de la population locale avec divers logements, sociaux, étudiants… Des bureaux seront installés, des supermarchés, des espaces de coworking, des salles de sport, ainsi que des écoles, collèges et lycées. L’objectif est de rendre cet espace attractif afin de transformer cette partie du Nord de Paris en un quartier convivial et pratique.
Ce que nous montre ce projet, c’est qu’il est possible de réutiliser une grande surface aménagée pour un événement sportif en un lieu de vie destiné à la population. Ces travaux s’avèrent utiles face à une demande croissante d’hébergement dans la région Île-de-France. À voir à l’avenir si tout cela va parfaitement s’intégrer dans le tissu local et la population.
Opportunité unique de mettre en lumière la France
Alors que Paris se prépare à accueillir le plus grand événement sportif du monde, il est essentiel d’envisager l’héritage à long terme et d’anticiper les défis potentiels pour garantir le succès de la réutilisation des installations sportives après les Jeux.
Il ne faut pas se manquer car les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 constituent une opportunité unique de mettre en lumière la France en termes d’accueil et d’organisation.
Après les Jeux de Paris l’été, les Jeux d’hiver dans les Alpes en 2030
La perspective des Jeux d’hiver en France en 2030, plus de 30 ans après les JO d’Albertville en 1992, offre là aussi un exemple inspirant de conservation du patrimoine bâti. Albertville a su transformer son héritage olympique en une expérience vivante, préservant la mémoire des exploits sportifs tout en adaptant les installations à de nouveaux usages. Cela souligne la nécessité d’une vision à long terme et d’une gestion proactive pour garantir la pérennité du patrimoine sportif bâti.
Mise en tourisme du patrimoine sportif bâti, élément clé de la préservation de l’identité culturelle d’un pays
La mise en tourisme du patrimoine sportif bâti représente un défi complexe, dépassant souvent l’objectif purement sportif initial pour revêtir des dimensions politiques et économiques. Avec à chaque fois la nécessité d’adapter chaque initiative aux spécificités du lieu retenu. À l’heure des méga-événements, l’utilisation minimale des ressources et la transformation des installations en bénéfices durables pour les populations locales s’érige en une démarche vertueuse devenue aussi incontournable que nécessaire aujourd’hui.
Mais une question demeure : comment concilier la préservation des sites sportifs et la transmission de la mémoire sportive à travers la mise en tourisme ? Nous constatons que la patrimonialisation du bâti sportif est un processus délicat, mêlant des considérations historiques, culturelles, politiques et médiatiques. Loin d’être une simple quête touristique, cette patrimonialisation, qui part du sportif pour aller vers le culturel, s’impose comme un élément clé dans la construction et la préservation de l’identité culturelle d’un pays.
*Ce sujet a été réalisé par des étudiantes (Charlotte Ortega, Ethel Le Floc’h, Fanilo Randriantsizafy, Ines Himrane, Mélody Barsotti, Nina Burgeres) en Master 1 EDTI (Économie et Développement du Tourisme International) de l’IREST (Institut de Recherche et d’Études Supérieures du Tourisme) – Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
Sous la direction de leur professeur Mathilde Mignon, et dans la perspective des Jeux de Paris 2024, ils ont été amenés à réfléchir sur « la mise en tourisme du patrimoine sportif bâti : comment préserver et transmettre la mémoire des exploits sportifs à travers des actions touristiques autour des lieux de compétition ? ». Nous leur avons ouvert nos colonnes et repris une partie de leur travail.
